Le passage du Cap (de Bonne Esperance)

Comme toute frégate française qui se respecte lorsqu’elle va aux Mascareignes, j’ai passé le Cap de Bonne Esperance, en 1793.

DSC00750-manchot du cap
Manchots du Cap. Crédit photo: Pascal R.

La vue est magnifique, tant pour les uns que pour les autres: ici ce ne sont pas les vaches qui regardent les calèches, mais les manchots qui regardent les frégates; sachant qu’une frégate peut aussi regarder un manchot, on n’est pas aveugle !

Pour les vrais frégates en vol, mes concurrentes à plumes, il faudra attendre que j’arrive dans l’océan indien :-)fregatefregate2

Mais le Cap de Bonne Esperance est dangereux : c’est par là que navigue le Daedalus !

DSC00747-manchots2-epave

Et mon ennemi juré est toujours le Daedalus

La France révolutionnaire

DSC_0147
Infanterie de marine sous Louis XVI

Il faut dire qu’en ce début d’année 1793, la France révolutionnaire se mobilisait, à grande force de levées en masse, pour faire face à la Première coalition, tandis que l’Ouest du pays s’embrasait. Et tandis que la guerre de Vendée battait son
plein, nous avions ouï dire que tous les navires disponibles devaient reprendre du service contre l’Angleterre, ennemie jurée de la France révolutionnaire après l’exécution du roi Louis XVI.

DSC_0139
1: chasseur à pied. 2: Infanterie de ligne. 3: Volontaire belge. (Le costume et les armes des soldats de tous les temps, Casterman)

Moi, La Prudente, actuellement dans le port de L’Orient en ce mois de février 1793, je me retrouve mobilisée aussi, pour aller renforcer l’escadre présente à l’Ile de France (aujourd’hui Maurice) sous les ordres de Saint-Felix.

Mon objectif: défendre les possessions françaises des Mascareignes.

J’embarque à mon bord des troupes de lignes, et des canonniers de marine.

DSC_0129
4: fusilier (1791) – 5: Infanterie (1793)
DSC_0131
12: carabinier (1792) – 13: artilleur (1792)

Des soldats du 41ème Régiment de ligne embarquent alors à mon bord: parmi eux, le jeune Simon.

DSC_0143
Infanterie de ligne sous Louis XVI
41RI_Reine1791
Le 41ème RI de ligne en 1791

Le 41ème Régiment d’Infanterie de ligne est l’ancien Régiment de la Reine, dont la création remonte à 1661. Il a été renommé le 1er janvier 1791.

La Meuse

Bienvenu chez moi : je suis la Meuse (55) et je suis le plus beau des départements français, quoique l’on puisse aussi citer le Morbihan (56) une place derrière.

Attention: la Haute-Marne vous dira le contraire, ne la croyez-pas !

Et chez moi, on trouve plein d’animaux !

DSC_0687
Renard dans la Meuse, dessin de l’auteur

“Oui, ben moi, je me casse” dis le renard. Avant d’ajouter: “j’habite à Troisfontaines, et je me ballade sur les trois départements limitrophes… et y’a un bragard qui arrête pas de me croquer sur son carnet d’aquarelle !”

La Marne

Bienvenu chez moi : je suis La Marne (51) et je suis le plus beau des départements français, quoique l’on puisse aussi citer la Haute-Marne (52) une place derrière.

Attention: d’autres vous diront le contraire, ne les croyez-pas !

J’ai même été à l’honneur sur la Tour Eiffel ! Houaaaaa….

J-51

Y’en a pas beaucoup qui peuvent s’en vanter !

DSC_0678
Renard dans la Marne, dessin de l’auteur

Chez moi on trouve plein d’animaux, comme des cerfs, des renards et des blaireaux (des vrais).

DSC_0676
Cerf à Troisfontaines, dessin de l’auteur

La Haute-Marne

Bienvenu chez moi : je suis La Haute-Marne (52) et je suis le plus beau des départements français, quoique l’on puisse aussi citer la Mayenne (53) une place derrière.

Attention: la Meuse et la Marne vous diront le contraire, ne les croyez-pas !

J’ai même été à l’honneur sur la Tour Eiffel en 1999 ! houaaaa…tour-eiffel J-52

Je vous parlerai de moi en détail plus tard. Chez moi on trouve des cerfs, des sangliers, des chevreuils, des chouettes hulottes, des chouettes effraies, des truites fario, des brochets, et des homo sapiens.

DSC_0682
Renard en Haute-Marne, dessin de l’auteur

Il y a aussi des renards et des blaireaux (des vrais).

DSC_0672
Haute-Marne riche de nature, Editions Equinoxe, tirage limité

Et surtout : d’une part c’est le fief de la famille du descendant; d’autre part c’est là, à Chaumont (préfecture) qu’est né Decres, lieutenant sur la Cibèle – et futur ministre sous Napoléon !

DSC_9146_Mairie_Chaumont
L’hotel de ville de Chaumont a été construit sous Louis XVI

 

 

Le cinquième quart sur la Cibele

“Je pris le service du cinquième quart. Je succédais ainsi à Duplessis, Le Hir, Montalembert et Le Bouche. Nous étions enseignes de vaisseau – Duplessis était sous-lieutenant et Le Hir lieutenant – et avions pris l’habitude de tourner toujours dans le même ordre, ce qui nous donnait l’opportunité, à cinq pour six quarts, de pouvoir les effectuer par décalage successif, à toute heure de la journée ou de la nuit.

J’aimais bien Guillaume Le Hir : il était de Brest, comme beaucoup d’entre nous, et avait embarqué à l’époque comme officier de manœuvre. Puis il avait été porté à l’état-major en septembre 92 et promu à son grade actuel à cette occasion. Cette promotion était entièrement méritée car Guillaume était dévoué corps et âme à la marine et pour lors à la Cibèle, et très attaché aux valeurs de la révolution. Bien sûr, nous l’étions tous, mais Guillaume et moi, plus que les autres. Cet attachement devait d’ailleurs finir par lui coûter la vie.

Je dois dire que je ne supportais pas trop Duplessis, qui avait la fâcheuse tendance d’en faire toujours trop lorsqu’il signait le journal de quart. Il fallait toujours qu’il en rajoute, à commencer par les deux point sur le i de Duplessis. Il ne pouvait s’empêcher d’en remontrer aux autres, et nous le surnommions « Duplessis point sur les i ». Pour ma part, je m’appliquais à bien écrire comme me l’avaient enseigné mes professeurs aux écoles. Je me disais toujours que ce que nous écrivions pouvait être lu plus tard par des gens ignorants de la mer, et de nos aventures, et tant qu’à faire autant que ma signature et mon nom soit lisible. Ce qui faisait rire Le Hir, car avec un nom pareil, sa signature se lisait quoi qu’il advienne, même écrite sous un coup de roulis.

En cette aube du 3 février, à la lueur des lanternes, je prenais connaissance de ce qu’ils avaient inscrit sur le journal de bord . Puis je montais sur le gaillard.

DSC_1037
Ce n’est hélas pas La Prudente sur la photo. Comme nous vous l’avons dit: aujourd’hui, La Prudente n’est plus.

Le vent était faible, nous avions gardé les huniers pour la nuit, et nous nous trainions à moins d’un nœud. Avec le jour naissant, le relevé de loch me donna enfin un nœud. J’observais l’horizon et découvrais La Prudente, ayant toujours aussi fière allure, devant nous, et ne marchant pas plus vite. Le grand mat était bien visible car ils avaient cargués les deux voiles du haut. Je portais tout cela au journal.

Pour nous : « Sous les trois huniers jusqu’à 5h ½ qu’on a fait servir ».

Je mentionnais la voilure de notre commandant d’escadre, La Prudente :

« A peu près sous la même voile en ayant son grand hunier et son grand perroquet cargué ».

Je me demandais si Renaud était déjà sur le gaillard d’arrière à chercher les anglais,  et si Simon était occupé à écrire son journal. Peut-être dormait-il encore, bercé par l’océan dans la torpeur du matin. J’attendis le jour complet pour vérifier que tous les vaisseaux de l’escadre étaient bien en vue, avant de porter cela pour la position de l’armée : « en vue dès le jour », et je terminais mon quart en ajoutant :

«  le temps chargé en différents points de l’horizon. La mer belle. Le vent petit frai ».

Et je signais : Collet.

La cloche sonna précisément le quart quand je reposais la plume. Je n’eus pas à attendre : Duplessis arrivait pour la relève. Sur ce point, il était précis et régulier.

  • – Bonjour mon lieutenant !
  • – Bonjour, citoien Collet !”

(“Sur une vaste mer, à bord de la Prudente” – tirage épuisé)