Quand la guerre est finie

Que deviennent les canons, les ancres et les frégates ?

La nuit
La lune sur son coussin de nuage – Copyrights CAPM

A quoi rêvent-elles la nuit, lorsque “la lune est sur son coussin de nuage avec l’étoile du Nord au dessus” ?

Les frégates coulent… des jours meilleurs, et rêvent de renaître en vaisseau doré,DSC_0752

Les ancres se reposent et sont en libre-service,

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Les canons font la sieste dans les rues ou décorent les porches et les grilles,

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et les boulets finissent dans les musées  😉

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Renaud

C’est le commandant de la Prudente.

Avant lui, c’était Villaret de Joyeuse, mais il est parti sur un vaisseau appelé Le Trajan. Renaud commande donc La Prudente lors de son départ de Lorient pour les mers de l’Inde en février 1793.

Renaud est lieutenant de vaisseau et c’est un bon marin, La Prudente est donc contente car elle est bien menée.

 

mais son ennemi juré est toujours le Daedalus

Qu’est ce qu’une frégate de 12 ?

La frégate de 12 est un type de navire de guerre portant des canons de 12 livres, qui fut construit de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXème.

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La frégate La poursuivante forçant le Pertuis d’Antioche en 1805 – Huile sur toile de Frédéric Roux, musée de la Marine à Rochefort

Les frégates de cette époque portent des canons dans leur unique pont-batterie, auxquels se rajoutent les pièces d’artillerie présentes sur le pont principal. Elles sont classées non seulement à partir du nombre de canons qu’elles portent (comme pour les vaisseaux), mais surtout à partir du calibre de leurs canons, exprimé par la masse en livre des boulets tirés. La livre française fait 489 grammes et un boulet de 12 livres pèse un peu moins de 6 kg (5,87 kg).

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La Poursuivante, détail

Les navires de guerre construits au XVIIème siècle et au début du XVIIIème pour porter des canons de 12 livres sont systématiquement classés à cette époque comme des vaisseaux de quatrième rang. Les frégates d’alors ne portent rien de plus gros que des canons de 9, 8, 6 ou 4 livres.

La première frégate de 12 est lancée par les français en 1748, et devient un standard de fabrication : la frégate portant 32 canons, dont 26 canons de 12 livres dans la batterie et 6 canons de 6 livres sur le pont.

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Maquette de La Dédaigneuse, frégate de 12 lancée en 1766 à Bordeaux

Ce modèle est aussitôt produit en grand nombre en France comme au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Espagne et dans d’autres nations moins puissantes.

Ces frégates de 12 seront surclassées par les frégates de 18 dès 1782, puis surtout par les puissantes frégates de 24 lancées à partir de 1794.

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Canons de 12 livres sur l’Hermione à Rochefort

La première frégate de 12 est l’Hermione, lancée en 1748 à Rochefort et portant 26 canons (elle sera capturée en 1759 par les anglais qui la renommeront HMS Unicorn Prize, et la copieront aussitôt. Une nouvelle Hermione sera lancée en 1779, qui s’illustrera en transportant La Fayette aux ameriques, et dont une réplique fidèle sera construite toujours à Rochefort entre 1997 et 2014: soit 17 ans, contre 6 à 9 mois à l’époque).

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Canons de pont de 8 livres

Les frégates suivantes porteront ensuite les 6 canons de 6 livres en plus sur le pont supérieur, et La Prudente portera encore en plus 6 canons de 8 livres.

L’équipage en temps de guerre est de 270 hommes (contre 188 en temps de paix) : soit 6 officiers, 4 élèves ou volontaires, 30 officiers-mariniers, 20 canonniers (des troupes de marine), 4 timoniers, 131 matelots, 35 soldats (troupe de marine ou infanterie de ligne), 22 mousses, 9 surnuméraires et 6 valets.

Sous la République et l’Empire, l’équipage passe à 282 hommes (209 en temps de paix), dont sept officiers (un capitaine de frégate, deux lieutenants et quatre enseignes).

Les deux lieutenants et quatre enseignes sont affectés aux quarts de navigation, ce qui permet une rotation constante sur un créneau journalier fixe (4 heures de quart chacun), sauf exception.

On notera que le chiffre de 35 soldats correspond presque exactement à la description faite par Simon des Iles pour la Prudente, puisqu’il donne le chiffre de 34 soldats.

Plus d’une centaine de frégates de 12 sont lancées par les Français jusqu’en 1799.

Le site britannique suivant donne la liste de toutes les frégates françaises construites sur cette période:

List of French sail frigates

A table !

Pour manger à mon bord – à bord de La Prudente – cela risque d’être difficile: il reste peu de choses de moi, car j’ai vécu et je ne suis plus.

Mais si manger Réunionnais ou Mauricien vous tente, et sans aller là-bas, je vous suggère d’aller A l’Ecole ou d’y retourner.  :-)

Cela vous permettra de profiter d’un bol d’air en Champagne, dans la Meuse: pas très loin des immenses domaines forestiers des Ardennes, du massif de Troisfontaines dans la Marne ou des forêts du Val et du Der  en Haute-Marne, où le chêne est roi.

Et je fus faite dedans ce bois.

Si je n’ai pas navigué sur le lac du Der, c’est juste qu’il n’existait pas quand je suis née: je suis de 1789, et le lac est de 1974  😛

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Herbiers à truites dans la Saulx

Le restaurant A l’Ecole est à Bazincourt, sur la Saulx, charmante rivière à truite (bon, la rivière existait avant ma naissance, mais si vous y allez vous verrez qu’elle est trop petite pour moi).

Il est tenu par un ami intime d’un descendant de Simon des Iles, et vous pouvez y aller en toute confiance. 😀

Nunc est bibendum ! (Et maintenant c’est le moment de boire !)

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La Saulx à Bazincourt

 

mais son ennemi est toujours le Daedalus

Le Pigott

Le Pigott est un anglais.EIC

Et ce n’est pas une frégate, mais un vaisseau: un East Indiaman, de la East India Company: la Compagnie Anglaise des Indes Orientales.

Quand nous l’avons aperçu, ça n’a pas traîné: nous y sommes allés aussitôt, La Cibele et moi, et hop ! A peine le temps de canonner que l’anglais se rendait. Pourtant, il était bien armé : mais deux corsaires français sympathiques l’avaient endommagé quelques jours plus tôt, et il était démâté de son grand mat, et ne portait ni sa petite hune, ni son perroquet de fougue. Nous l’avons capturé au mouillage devant l’île du Rat. Au jeu du chat et de la souris, nous l’avons bien eu.  😈

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Prise du Pigott, au mouillage, par La Prudente et La Cibele – 7 février 1794 (archives privées – tous droits reservés)

 

Et quand le Dugay-Trouin – toujours en retard, celui-là – est arrivé, l’affaire était déjà pliée depuis plus d’une heure  😆

Le 7. nous appareillâmes à quatre heure du matin. Nous découvrîmes bientôt la rade et la ville de Bancoul avec toutes ses fortifications nous portions déjà pavillon anglais. au même instant nous vîmes à la Pointe de l’isle Rath, petite terre d’une demie lieüe environ de circonférence et à deux lieues des forts de Bancoul un tres gros Bâtiment à l’ancre, dématé de son grand mât et totalement dégrée ; il avait néanmoins une tres belle Batterie et ses canons aux sabords. (Simon des Iles)

 

mais le Pigott a un copain très dangereux : le Daedalus

Là où je fais la guerre

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Vue satellite de Diego Garcia
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Océan indien, Diego Garcia: le lagon

C’est beau, non ?

Je fais la guerre dans des îles paradisiaques. J’étais payée pour aller là-bas !

J’étais basée à l’Ile de France, que les anglais appellent Maurice depuis qu’ils nous l’ont prise. J’avais l’habitude de mouiller aux pavillons devant Port-Louis, ou près de l’île aux Tonneliers.

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Le Coin de Mire
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L’île Ronde

“Le 3 juin au point du jour nous aperçûmes devant nous l’isle Ronde, l’isle Plate, l’isle aux Serpents, le pain de Sucre et le coin de Mire, islots qui bordent le coté du vent de l’isle de France.” (3 juin 1793)

mais son ennemi est toujours le Daedalus

Ha, j’oubliais : je suis aussi passé là-bas, aux Antilles:

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La point des chateaux – Guadeloupe

Mais ça, c’était avant, avec Villaret de Joyeuse, lors de ma mission à Saint-Domingue.

Vue sud-est un peu avant la pointe des châteaux, quand le temps forcit : pas vraiment un endroit pour mouiller !

 

Et là-bas c’était plus calme, le Daedalus y était pas !

La Cibele

Bonjour !

Moi je suis la Cibele. Je ressemble à la Prudente en tous points sauf que j’ai des canons de 18.

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La Cibele en action de canonnade (archives privées – droits réservés)

Ils font beaucoup plus mal.

Et quand on me demande de canonner, je ne me prive pas. Soit en journée pour les boulets, soit le soir pour le rhum de l’équipage.

“puis ayant substitué le pavillon Républicain la Cibele commença à le canonner comme ayant le plus fort calibre. il amena au huitième coup de canon sans avoir tiré, mais comme il avait ammaré une flamme qu’il lui était impossible d’amener, la Cibele canonnait toujours, enfin un matelot monta jusqu’au Baton ou elle flottait et la jetta à la mer, aussitôt le feu cessa.” Simon des Iles.

La chasse

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La frégate La Concorde, au combat contre la Minerve. Musée de la Marine, Paris.

La chasse est notre jeu favori, et les anglais font de même. Dès qu’une voile est aperçue, c’est un ennemi potentiel. Il faut l’observer, l’identifier, s’approcher: je laisse le soin de tout cela au commandant ou à l’officier de quart, et j’attends sa décision. Souvent, dans le doute, un navire est chassé tant qu’il n’est pas reconnu et nous nous mettons en course. Cet excès de prudence – je ne parle pas de moi – nous conduit à chasser des vaisseaux amis.

Je me souviens par exemple de la mission fin 1793 lorsque je partis en expédition pour les détroits et les iles de la sonde, entre Java et Sumatra. Moi, La Prudente, sous les ordres de Renaud, j’étais accompagnée de la Cibèle commandée par Tréhouard, et du Dugai-Trouin:

Les corsaires Le Dumourier et l’égalité avaient amené comme je l’ai dit un très beau vaisseau anglais. On l’avait armé de canons de dix huit et il devait repartir en course avec une petite corvette à deux mats nommée Le Lévrier. Les armateurs s’associèrent avec nous pour cette expédition. Les conditions furent que le quart total des prises appartiendraient aux propriétaires et que le reste serait partagé entre les divers équipages de l’expédition. D’après cet arrangement ils arborèrent la flamme nationale comme vaisseaux de l’état et l’anglais fut nommé le Dugai-Trouin.”

Il y avait également trois corsaires qui nous accompagnaient:  La Mouche, La Pellagie, et le Lévrier.

Au matin du samedy 28 décembre 1793, le lieutenant Le-Hir note sur le DSC_0310-detail page1journal de bord de la Cibele: “point de vue du dugaitroin ni de la mouche”, car dans la nuit ils se sont éloignés et ne sont plus sur l’horizon.

Le lendemain matin, tous les bateaux sont en vue, avec un bel ordre observé par Le-Hir, qui note que la Cibele est “sur l’avan des 3 corsaires et sur l’arriere de la prudent.” (c’est moi !  😛 )

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Puis le 31 décembre, le Dugai-Trouin et La Mouche ayant à nouveau disparu (il faut dire qu’ils se traînent, et le commandant Renaud a déjà plusieurs fois fait ralentir l’allure les jours précédents pour les attendre), nous apercevons une voile à l’horizon. Allez, c’est le nouvel an ce soir, un peu d’action ne fera pas de mal aux équipages, et c’est la dernière occasion de l’année de prendre un anglais ! C’est Montalembert qui nous le raconte: “a 8h le Commandant a fait signal de chasse sur la voille appercue, le batiment restant dans l’Est. De suite fait le branle bas de combat. a 11h, reconnu le dit navire pour etre le Dugaitroin. a la meme heure le Commandant a fait signal de raliment général”.

Et comme si cela ne suffisait pas, le lendemain 1er janvier le 1794 nous avons remis ça: DSC_0331-detail-page12“Le commandant a fait signal de chasse. après avoir reconnu le navire chassé pour le Duguaytrouin nous avons repris notre poste”

Mais là, je soupçonne le commandant Renaud d’avoir à la fois voulu mettre un peu d’animation aux équipages en ce premier jour de l’an, tout en donnant encore une bonne leçon au Dugay-Trouin !   😉

 

mais son ennemi est toujours le Daedalus